Tantôt calme, tantôt agitée, de l’eau a coulé depuis ses débuts en solo avec Songs from Electric Sky, en 2006. Depuis, H-Burns a publié un beau corpus d’albums où se croisent folk acoustique et rock électrique, ambition minimaliste et lyrisme maîtrisé. Ce qui semble parfaitement condensé dans ce neuvième album studio, Sunset Park.
La pochette en dit déjà long. Peinte par Gilles Marrey à la demande de H-Burns, elle représente la plage Pacific City, située dans l’Oregon. Étrangement – ou pas – elle évoque la célèbre toile Caspar David Friedrich, Le voyageur contemplant une mer de nuages. Et baigne dans une lumière crépusculaire dont le musicien nous rappelle la définition : « lumière incertaine juste après le coucher de soleil ». Bon résumé de Sunset Park, disque de rupture(s) aussi bien affectives qu’artistiques. L’esthétique, elle, reste fidèle au parcours d’H-Burns. Qui est allé sur les traces de road trips d’antan…
La solitude, la séparation, le manque, au creux desquels évolue un artiste qui assume de ne plus être le même qu’avant, sans pour autant se renier. C’est le point de départ de Sunset Park, dont l’écriture a débuté juste avant le premier confinement, au fin fond du Vercors. Pas de saut à l’élastique, ni de nuit où l’on ment : ici, il s’agit de livrer sa vérité. Raconter une perte de repères, vivre avec les absents. Après les confinements, elle prend forme dans un corps de ferme du Pays basque, dans le studio de David Chalmin, et se façonne définitivement au sein de l’antre musicale de Rob Schnapf, à Los Angeles. Il s’agit de passer d’un océan à l’autre, de l’Atlantique au Pacifique. H-Burns et Rob avaient déjà collaboré ensemble sur Night Moves et Kid We Own the Summer, à des moments propices de la vie du premier qui, en décembre 2021, a senti qu’il était temps de revenir aux sources d’un nouvel envol artistique.
Ainsi, s’il reste auteur, compositeur, multi instrumentiste et producteur, H-Burns a laissé les manettes du mix à Rob. Pour l’objectivité, la fraîcheur, la vibration West Coast : « Personne mieux que lui n’aurait pu apporter l’ambiance familiale, protectrice telle un cocon que je recherchais ». Puis il a repris la route jusqu’à Vancouver, route déjà tracée il y a quelques années, afin de retrouver la sérénité. En bande sonore, l’audiobook du roman Sunset Park, de Paul Auster. Au retour, il sera temps de s’atteler à sa réinterprétation des chansons de Leonard Cohen, proposée avec le disque et le live Burns on the Wire, projet qui lui a « permis de persister dans une veine universelle, nourri de la sage mélancolie de Cohen. »
En résulte un disque mémorable, de ceux dont on dit qu’ils sont des classiques instantanés. Si elle peut être galvaudée, l’expression prend tout son sens dès la superbe introduction « Sunset Park », ponctuée de touches impressionnistes de lapsteel : on plonge aussitôt dans l’Amérique de H-Burns. S’ensuite « Morning Flight » qui, sous des allures folk, se livre à un crescendo apocalyptique, un « Late Bloomers » dont le up tempo « fige l’invincibilité post adolescente », analyse H-Burns : « L’impression que rien ne nous atteint se volatilise au fil des années avant de nous laisser seul face à l’adversité. » Déclaration d’amour à Los Angeles, « L.A. » est investie par le spectre d’Elliott Smith, jadis produit par Rob Schnapf. Idéale conclusion, « Movies » convoque aussi des fantômes avec lesquels on apprend à cohabiter. Entre temps, H-Burns partage « Dark Eyes » avec Dominique A. L’un de ses rares modèles français vivants. Distinctes et néanmoins proches, leurs deux sensibilités observent le regard de la personne aimée changer jusqu’à ce qu’on ne puisse plus la reconnaître.
Si le folk s’invite toujours dans les mélodies d’H-Burns, notamment sous l’influence de la Californie triste du d’On the Beach de Neil Young, Sunset Park se fait écho de la quête sonore de The National autour d’un terreau électrique et d’un travail rythmique. Enregistrer avec deux des collaborateurs réguliers du groupe américain, David Chalmin et Benjamin Lanz, qui intervient sur les cuivres, n’est pas un hasard. « The National n’a pas peur d’envolées arrangées, d’exprimer ses émotions très haut ou très bas, explique H-Burns. C’est ce que je souhaitais ici également : une charte des sons qui ne soit pas monolithique. » Ainsi, en l’espace de onze chansons, H-Burns confirme l’un des buts premiers (et l’une des grandes vertus) de la musique : parler de soi tout en s’adressant à tous.
Sophie Rosemont